I - La Naissance de la Haine.
Le 26 ème jour du deuxième mois de l'an 20.
"Amanda ! La gamine pleure encore ! hurla Ernest depuis le salon.
La blonde inspira profondément, laissant son éponge retomber dans la bassine d'eau savonneuse et attrapant un torchon afin d'essuyer ses mains pâles. Comme si il n'était pas encore habitué, son regard s'arrêta sur l'alliance en or qui trônait à sa main gauche. L'anneau était d'une grande simplicité mais vu les revenus de son époux, Amanda fut surprise qu'il trouve l'argent pour lui payer ce simple bijoux. C'était la seule richesse qu'elle possédait, un petit cercle doré qui tenait dans le creux de la main et pourtant jamais au grand jamais elle n'envisagerait un jour de le vendre. Qu'importe ce qu'on voulait lui donner en échange, c'était la seule chose prouvant encore que Ernest Harst avait un jour aimé sa femme.
- Amanda ! insista l'homme en tapant du pied.
Il n'était pas si loin le temps où il lui glissait encore quelques "Je t'aime" à l'oreille et qu'il avait cette lumière dans les yeux qu'ont tout les hommes quand ils voient la femme de leur vie. Non, il n'avait pas longtemps que Ernest ne semblait plus aimer Amanda.
- Oui, j'arrive... répondit-elle sans grande conviction.
Elle jeta un coup d'œil dans le petit miroir de la cuisine, observant son pâle reflet. Cette perte d'intérêt serait-elle dû au fait qu'elle ait prit du poids après la grossesse ? Ou bien était-ce la faute à ces deux grands yeux aux iris presque rouges qui lui dévoraient la moitié du visage en lui donnant l'air plus jeune. Enfin, elle n'était pas vieille, loin de là. Elle était dans son vingtième hiver et il lui semblait que déjà sa jeunesse c'était envolée deux ans auparavant quand elle était tombée enceinte et que ses chers parents avaient forcés les deux amants a s'épouser. Le mariage avait été très sobre et fait selon les moyens des deux familles - moyens si faibles qu'Amanda dû se résigner a porter une simple tunique longue blanche plutôt que la robe somptueuse de ses rêves.
- Enfin, Amanda ! Tu peux pas te dépêcher un peu, putain?! Il faut que je te le dise en quelle langue, par la lumière ?!
Cette fois, la blonde se mit en route vers le salon, les joues rouges de hontes. Son époux se tenait dans l'unique fauteuil de la maisonnée, lisant son journal comme il le faisait toujours. Il ne fallut pas longtemps à Amanda pour deviner la raison de son énervement puisque, comme toujours, c'était la faute de l'adorable petit être qui venait de se réveiller dans son lit à barreau. Cette toute petite chose pleurait, cherchant le réconfort familier des bras de ses parents - ce que lui offrit sa mère en la glissant dans ses bras. Pourtant cela ne sembla pas vraiment suffire puisque les hurlements de l'enfant raisonnèrent en réponse à cette démonstration d'amour insuffisante aux yeux de la petite fille. Sa mère soupira longuement, venant bercer le corps dans ses bras en observant son époux qui été résigné à ne pas bouger de son fauteuil ni même lui prêter main forte. Quel ingrat.
- Ernest... Elle ne se calme pas, supplia sa femme après plusieurs tentatives et autant d'échecs.
Ce dernier releva ses yeux noirs vers elle, l'observant de la tête aux pieds comme il avait toujours eu l'habitude de le faire. Amanda baissa les yeux, honteuse. Voilà pourquoi il ne l'aimait plus : Elle était si faible ! Si incapable !
- Et si tu lui jouais du piano, Amanda? proposa-t-il, ses yeux continuant de la foudroyer comme-ci elle était une simple servante s'adressant au Roi tout puissant.
L'image fit grogner la blonde qui prit tout son courage pour envoyer à l'être méprisant en face d'elle un regard tout aussi mauvais avant qu'elle s'avance vers lui, tendant l'enfant. Ernest fut d'abord surprit puis prit la petite dans ses bras, essayant à son tour de la réconforter en vain.
- Joue lui du piano, chérie, murmura-t-il doucement pour ne pas plus contrarier sa fille.
Amanda acquiesça, traversant le petit salon pour venir s'arrêter devant un grand drap poussiéreux sous lequel se trouvait le dit piano. Ce dernier était le seul meuble un peu "noble" de la bâtisse ce qui expliquait pourquoi il était si bien protégé. C'était un demi-queue au bois laqué noir. Ses touches étaient en ivoire et les pédales en argent étaient lourdes et faisaient de l'instrument un objet presque précieux aux yeux de simples roturiers comme les Harst. Peu de gens pouvaient s'offrir un piano surtout par ses temps durs où la guerre civils menaçait et que la crise financière était devenue une amie quotidienne des pauvres habitants du Bourg. La blonde tira le drap, le déposant près de l'instrument avant de tirer le petit tabouret de dessous le piano. C'est lorsqu'elle passa ses longs doigts sur les touches qu'elle s'aperçue qu'elle tremblait. Ernest lui avait acheté ce piano il y a de cela maintenant un an, persuadé que ça lui ferait plaisir. Il avait prit le plus cher, dépensant une somme faramineuse dont ils ne pouvaient pas se passer. Bien qu'elle fût d'abord très touchée par le geste, il restait un petit soucis : Elle ne savait pas du tout en jouer. Elle en avait fait un peu quand elle était petite chez une amie à sa mère mais le peu qu'elle avait apprit, elle l'avait oublié et Ernest semblait certain que sa femme se débrouillerait très bien toute seule. En effet, elle a reprit ses bases et se débrouillait mais elle s'installait devant le piano en traînant des pieds et les remarques de son mari concernant la somme qu'il avait dépenser pour elle lui donnait encore moins l'envie d'en jouer.
- Que veux-tu entendre? demanda-t-elle doucement, comme-ci elle craignait qu'il le prenne mal ou qu'il parle encore du prix du piano.
Etrangement, il ne fit aucune remarque, trop occupé a embrasser le front de l'enfant qui déjà se calmait. Il releva les yeux vers elle, l'observant avant de lui adresser un sourire affable.
- Joue la musique de la pluie, s'il te plais. C'est la seule que tu sais jouer correctement.
Amanda fronça légèrement les sourcils, ne trouvant rien à dire alors qu'elle pivota sur le tabouret, tournant le dos au brun qui parlait à l'enfant d'une voix douce. Pourquoi n'était-il pas aussi tendre avec elle? La blonde inspira, repoussant sa longue chevelure d'un geste las avant de poser son pied fin sur le pédalier, se mettant doucement à jouer. L'air était calme, doux, montant en crescendo avant de redescendre comme après la fin d'une averse. C'était un rythme entêtant, qui restait toute la journée dans la tête et sur lequel on ne pouvait s'empêcher de chantonner. Elle s'appliquait à le jouer, composant ses accords sans faire la moindre fausse note. Pourtant, quand elle eut fini, son époux qui avait recoucher l'enfant vint derrière elle et la poussa a recommencer une fois, deux fois... Au bout de la cinquième fois, Amanda s'aperçu qu'elle pleurait alors que la main d'Ernest, posée sur son épaule, exerçait une pression plutôt forte qui l'obligea a reprendre une sixième fois la mélodie. Les yeux rivés sur sa partition, la blonde obéît docilement quand soudain la main pâle du brun vint prendre la partition et la déchirer. La pianiste écarquilla les yeux, perdant ses moyens alors qu'elle s'arrêta de jouer.
- Qui t'a dis d'arrêter, Amanda? demanda-t-il avec un large sourire mauvais.
La blonde ouvrit la bouche pour répliquer puis se tut, incapable d'hausser le ton alors qu'elle baissa les yeux sur le clavier venant reprendre doucement où elle s'était arrêtée. Ses mains tremblaient tellement que la mélodie perdu en rythme et en beauté, devenant une répétition de fautes et d'hésitations ponctuées.
- J'ai demander : Qui t'a dis d'arrêter ?
La voix d'Ernest se fit désormais menaçante, la main sur l'épaule de sa femme se déplaçant jusqu'à la nuque de cette dernière qu'il serra légèrement. Elle glapit, évitant son regard alors que bientôt il lui fit quitter le tabouret sur lequel elle était assise, la forçant à poser la joue contre le bois du piano, penchée en avant alors qu'il se tenait derrière elle. Le fait qu'elle pleurait, qu'elle avait peur de lui permis à Ernest de mesurer ses coups alors qu'il abattait son genou et ses poings dans le ventre de sa femme en lui demandant :
- Pourquoi te faire plaisir puisque tu es incapable d'être reconnaissante ? Hein? Pourquoi j'aurais a nouveau envie de te faire plaisir si c'est pour que tu pleure à chaque fois ? Réponds-moi, Amanda. grogna-t-il à son oreille alors qu'il lui donnait un nouveau coup qui l'a fit s'avachir contre l'instrument, ses jambes étant incapable de maintenir son poids.
Sa femme ne put lui répondre, terrifiée alors qu'elle suppliait à voix basse que la lumière lui vienne en aide, comme lui avait apprit à le faire sa mère.
- Réponds ! hurla Ernest alors que pour accompagné ses mots il tira les cheveux de sa femme en arrière pour la forcer à se tordre pour le regarder, lui souriant largement. Tu ne veux pas me répondre, chérie ? demanda-t-il en lui arrachant un cri quand il tira un peu plus sur ses cheveux. Très bien, très bien. Ce n'est pas grave.
Soudain, il vint frapper la tête d'Amanda contre le piano, l'assommant à demi avant de la laisser là. Son ventre et son visage lui faisaient atrocement mal alors que le sang commença a couler de son nez, caressant ses lèvres. Elle resta avachit contre le piano un long moment avant que la silhouette d'Ernest réapparaisse à ses côtés, leur fille dans les bras alors que cette dernière c'était remise a pleurer, réveillée par les bruits de lutte.
- Fais taire cet enfant, Amanda. Et que je ne te vois pas avant que tu te sois arrangée un peu. Regarde-toi, tu te crois digne de moi? dit-il sur un ton méprisant, lui collant la gamine dans les bras.
La blonde tituba, l'enfant collée contre son buste alors qu'elle se fraya un passage jusqu'à la cuisine où elle se laissa glisser le long du mur, face à son petit miroir. Elle observa son visage pâle prendre des teintes rouges alors que le sang dévalait toujours de son nez, goutant à son menton. Ses larmes avaient fixées sur ses joues quelques cheveux blonds très clairs et ses yeux étaient devenus rouges. Ses traits marqués, son corps voûté sur celui de l'enfant qui pleurait dans ses bras. Lentement, Amanda détourna les yeux du miroir pour observer la cuisine, sa bassine pleine d'eau savonneuse qui l'attendait, la poussière accumulée qui attendait qu'on la nettoie, le four vide qui attendait de chauffer un bon plat. Oui, tout le monde attendait beaucoup d'Amanda Harst et elle avait le sentiment que toute sa vie serait ainsi. Elle était une domestique aux yeux de son mari, une pauvre misérable indigne de lui, une chose qui ne méritait rien.
- Cesse de pleurer mon ange, murmura-t-elle à l'enfant qui l'observait de ses grands yeux bleus. La lumière veille sur nous, je te le promet. Elle veille sur nous et elle nous sauvera parce que ton père est un homme bon et que si il l'a mit sur notre chemin c'est forcément parce que c'est bien pour nous, d'accord?
L'enfant cligna des yeux, tirant une mèche de cheveux à sa mère. Bien sûr la petite n'avait pas compris un traître mot de ce que venait de dire Amanda et cette dernière ne croyait pas en un seul mot de ce qu'elle lui disait.
- Si la lumière est bonne, elle nous sauvera, murmura-t-elle en embrassant le front de sa fille."